"Δεν έχω εχθρούς, αγνοώ το μίσος όπως και τον φθόνο. Αισθάνομαι κάποιες φορές περιφρόνηση και πολύ συχνά αδιαφορία σε μεγάλη δόση."
Βλ. επίσης Σαν σήμερα (29-07-2012) Ο Pol Pot φωτογραφίζεται σε "λαϊκό δικαστήριο" για πρώτη φορά μετά από 18 χρόνια.
AU-DESSUS DU VOLCAN (Πάνω από το Ηφαίστειο)
'Αρθρο της PASCALE NIVELLE (το καλύτερο που έχω διαβάσει για τον Jacques Vergès) δημοσιευμένο στη LIBERATION στις 30 Οκτ. του 2002).
Jacques Vergès sourit. Enveloppé de sa propre légende, au coeur de supposées ténèbres. Ravi d'attirer encore une fois la curiosité. A un biographe autorisé, il a confié un jour : «J'ai le culte de moi-même.» Et il s'y consacre, des signes extérieurs de prospérité à la richesse intérieure affirmée. Entouré de ses fétiches - un serpent en cristal offert par Cheyenne Brando, une statue cadeau d'Omar Bongo, une édition de 1888 de Zarathoustra - il récite Nietzsche et Saint-Just dans le nuage du meilleur havane. Son bureau, à l'étage noble d'un hôtel particulier parisien, est un palais peuplé de géants, des auteurs classés sur les rayonnages aux sculptures africaines. Présences envahissantes, plantées dans la pénombre comme des sentinelles autour du maître. Depuis longtemps, Jacques Vergès demande de fermer les persiennes. Les orchidées, ses fleurs favorites, dépérissent. Et lui s'épanouit, proférant : «Je n'ai pas d'ennemis, je ne connais ni la haine ni l'envie. J'éprouve parfois du mépris et très souvent une grande dose d'indifférence.»
Ainsi n'a pas toujours parlé Me Vergès, grand coléreux, grand ambitieux et grand embrouilleur. La veille encore, il ferraillait contre Me Kiejman lors d'une audience pour la révision du procès Omar Raddad, sa dernière grande cause avec le préfet Bonnet, hormis sa figuration au procès Milosevic. Avec la hargne d'un avocat débutant, loin des citations savantes et du détachement affiché dans son cabinet. Là, il énonce : «Disraeli disait qu'il y a deux types d'hommes, le gentleman qui obéit aux usages de son club, et l'aventurier qui obéit aux caprices de son coeur. Je suis un aventurier, je n'ai jamais eu d'envie de carrière. Il faut faire ce qu'on envie de faire, à l'ébahissement des gens.» Il ne manque pas de rappeler qu'il fut lauréat de la conférence du stage, le grand oral des avocats. Comme Kiejman et Badinter. «Un club très fermé», se coupe-t-il, malgré Disraeli.
Isabelle Coutant-Peyre, son ancienne disciple, aujourd'hui épouse du terroriste Carlos, a la dent dure : «C'est un faux intellectuel. Il apprend des trucs par coeur tous les jours. Quand il donne l'impression de faire un éclat, en fait, c'est préparé. Mais il est quand même exceptionnellement intelligent.» Et son parcours est exceptionnellement tortueux. Vergès a défendu le FLN et Klaus Barbie, Magdalena Kopp, la terroriste d'extrême gauche, et Louise-Yvonne Casetta, la trésorière occulte du RPR. Il a eu la foi (l'islam) et n'a plus pour loi qu'une prétendue morale d'avocat. Il a été gaulliste, stalinien, tiers-mondiste, et ne vote plus. Il s'est enrichi au service de dictateurs africains. Et reçoit toujours des centaines de dossiers, bouteilles à la mer lancées par le petit peuple des justiciables, qui l'a élu avocat des pauvres. Vergès écrit des livres politiques avec Bernard Debré (le Suicide de la France), dont le père a voulu sa peau. Et aussi des poèmes touchants. Toujours là où on ne l'attend pas, guettant «l'ébahissement des gens». Que sont ses idéaux devenus ? «C'est l'époque qui n'a plus d'idéaux, pas moi.» Ni regrets ni remords : «Ce que tout ça m'a apporté me demeure.» Thierry Jean-Pierre, l'ancien juge, auteur d'un livre d'entretiens avec les frères Vergès (Paul est sénateur communiste de la Réunion), est un admirateur : «Heureusement qu'il existe. On vit une époque sans héros, ni positifs ni négatifs. Vergès est précieux.» Un détail a inquiété Jean-Pierre, réunionnais lui aussi : «Il croque des piments oiseau sans broncher.»
A 77 ans, Vergès garde le visage lisse de ses 12 ans, quand il se rêvait «général en chef ou écrivain». Il chahutait alors, au lycée de Saint-Denis de la Réunion, mortifié de courir derrière le premier de la classe, nommé Raymond Barre. Son héros s'appelait aussi Raymond, c'était son père, «le pater». Deux fois veuf, quatre fois père, plusieurs amours, plusieurs carrières, sur plusieurs continents. Raymond fut ingénieur agronome en Chine, poilu dans les tranchées, consul de France en Thaïlande, médecin à la Réunion, fondateur du parti communiste de l'île. Une existence plus romanesque que celle de Jacques, par la fidélité de ses engagements. Raymond avait épousé Khang, mère vietnamienne de Jacques et Paul, au prix de sa réputation dans les colonies, sauvant ses supposés jumeaux de l'orphelinat de bonnes soeurs où finissaient les métis. Supposés, car le consul aurait fait un faux, en déclarant la naissance le même jour de Jacques et Paul, en fait distants d'un an. Le secret de famille a été éventé trois quarts de siècle plus tard par Bernard Violet, biographe limier, honni de Me Vergès. Le savait-il ? «Non. Et je m'en fous royalement.» Aucun souvenir. Ni de l'Asie, ni de Khang, si belle, emportée par une crise de paludisme quand il avait 3 ans. Jacques était métis, et fils de notable, dedans et en dehors de la société coloniale : «Un être double, de culture française et de sensibilité du tiers-monde», dit-il. Un être singulier, sûrement. Aguerri par «le pater» dans des tonneaux d'eau glacée, bercé de discours anticolonialistes, nourri aux auteurs des Lumières. A 17 ans, il s'engage avec son frère dans les Forces françaises libres, avec la bénédiction paternelle. Première émancipation, première posture. Il revient «enchanté par trois années de tourisme guerrier». Et stalinien pour douze ans, ambassadeur du PCF dans les pays frères. Devenu avocat, Vergès défend le FLN et épouse sa première cliente algérienne, Djamila Bouhired, condamnée à mort puis graciée. Après l'indépendance, ses clients seront des fedayin palestiniens. «Le seul engagement de sa vie, c'est l'anticolonialisme, estime Thierry Jean-Pierre, c'est très profond chez lui, depuis l'enfance.»
Un jour de mars 1970, Jacques Vergès disparaît. Plante son métier et sa famille, une femme et trois enfants, pour huit ans. Ils n'ont, dit-il, posé aucune question. Mais depuis vingt-quatre ans, on parle du mystère Vergès, même si le seul mystère demeure que personne n'ait élucidé l'histoire. Bernard Violet avance une affaire de gros sous au Katanga. Thierry Jean-Pierre, une fuite en avant : «A l'époque, il est mal. Michel Debré veut sa peau, et le Mossad veut le tuer car il défend des Palestiniens. Il part du jour au lendemain, en Asie, agent des services secrets chinois. Ils l'utilisent au Cambodge et au Vietnam.»
Ce qui est certain, c'est qu'il y a un avant et un après à ces «grandes vacances», comme Vergès nomme sa parenthèse. Parti idéaliste, et surtout maoïste, Jacques revient fataliste. Et fauché, affirme Isabelle Coutant-Peyre, devenue son associée au début des années 80 : «On s'aimait bien, à l'époque. Il se passionnait pour de petites affaires de droit commun, disant que dans tout dossier, il y a un roman. C'était un séducteur, à sa manière. Il aimait passionner les gens. Surtout les femmes. Après, avec le procès Barbie, il est devenu prétentieux.» Depuis Barbie, Vergès pratique l'art d'être Vergès, l'avocat du diable. Pourquoi ? «Les amis de Carlos ne sont pas assez nombreux, cela ne peut plus être l'activité principale d'un cabinet.» Il rit encore. Un petit rire asiatique, pour soi-même : «Je m'amuse. Si vous saviez comme je me suis toujours amusé...».